MILLET, JEAN-FRANÇOIS (1814–1875), peintre réaliste français.
La position artistique et politique de Jean-François Millet n'a jamais été très stable. Né paysan terrien à Gruchy (Normandie), il passa l'essentiel de sa vie à partir de 1849 dans le village de Barbizon en lisière de la forêt de Fontainebleau. Après des études d'art à Cherbourg, Millet s'installe à Paris en 1837 où il s'inscrit à l'École des Beaux-Arts. Là, peignant des sujets bibliques et mythologiques conventionnels, il a raffiné ses compétences en peinture de personnages, a concouru pour des prix académiques, a soumis des œuvres à des expositions annuelles financées par le gouvernement et a sollicité des commandes d'État. De retour en Normandie en 1840, Millet a adopté un mélange commercialement viable de portraits, de thèmes légèrement érotiques et de pastorales, tout en continuant à rechercher une reconnaissance officielle en envoyant des sujets mythologiques, bibliques et rustiques aux Salons de Paris.
Avec le déclenchement de la révolution à Paris en février 1848 et la formation d'un gouvernement républicain provisoire, la carrière artistique de Millet prend un tournant décisif. Fort d'un grand succès critique pour un sujet mythologique qu'il exposa au Salon de 1847, Millet soumit un tableau religieux avec un sujet paysan (Le vanneur, 1847–1848) au Salon de 1848. À la fin de juin 1848, lorsque les soulèvements populaires en faveur du gouvernement provisoire de gauche ont été durement réprimés, c'est la représentation naturaliste monumentale d'un paysan par Millet qui a été achetée par le ministre de l'Intérieur de la nouvelle république et lui a valu une importante commission gouvernementale. Pourtant, malgré Le vanneurL'échelle massive de la figure, son traitement pictural généralisé et l'allusion au drapeau révolutionnaire dans la palette de couleurs de la figure, l'intention de Millet de représenter ce paysan solitaire n'était pas du tout claire. Alors que les événements dramatiques de 1848 ont incité de nombreux artistes à aborder des sujets ouvertement politiques, et bien que Millet ait compté de nombreux républicains parmi ses associés immédiats, sa propre attitude envers la révolution reste incertaine. Il
participé brièvement aux émeutes de juin, mais dont la faction est inconnue. En 1849, Millet remplit sa commission d'État avec un autre thème rustique, Les moissonneurs, et s'installe avec sa famille à Barbizon, échappant à l'agitation civile de Paris. Ici, il concentrerait presque tous ses travaux publics sur des sujets paysans contemporains. Rendu dans un style de naturalisme héroïque ou épique, et incorporant souvent les conventions artistiques traditionnelles françaises et italiennes, Millet a imprégné ses scènes d'un contenu élevé qui avait traditionnellement été la réserve de la peinture biblique, mythologique et historique. Les interprétations des critiques passaient ainsi facilement de la lecture de ses scènes paysannes comme signes d'inégalités sociales ou de désillusion urbaine à les voir comme des symboles pouvant porter des allusions religieuses et mythologiques beaucoup plus larges.
Sous le Second Empire, le débat critique se concentre fortement sur l'antagonisme entre un réalisme «officiel» ancré dans des valeurs esthétiques conventionnelles et académiques, et la nouvelle école réaliste qui les interpelle farouchement. L'importance idéologique accrue que les élites culturelles républicaines accordaient aux représentations hardiment non idéalisées des paysans et de la classe ouvrière a entraîné les débats sur des sujets réalistes et leur traitement pictural dans des directions nettement politiques. Au cours des années 1850 et 1860, les peintures de Millet se heurtèrent à une hostilité considérable de la part des opposants conservateurs au nouveau réalisme qui percevaient dans ses représentations brutales de la vie rurale la transgression des valeurs esthétiques qui entretenaient une illusion idéalisée de la société paysanne dans son ensemble. Interprétés comme ayant déformé les épreuves de la vie paysanne et exagéré leurs conditions sociales et économiques, les conservateurs ont accusé Millet de transformer la réalité pour prêcher des idéaux politiques radicaux. La force de cette campagne antiréaliste a été portée par des peintures telles que Les glaneurs (1857) et Homme avec une houe (1860–1862). L'immédiateté visuelle et l'échelle héroïque du Glaneurs, dont les traits brutaux et gonflés accentuent leurs poses lourdes, aux yeux des conservateurs exagéraient manifestement la distinction nette entre les couches les plus pauvres de la société paysanne glanées au premier plan de l'image et les actions des récolteurs prospères au loin. Des attaques comme celles-ci ont recueilli le soutien sans équivoque de Millet parmi les critiques libéraux et de gauche. Opposés aux initiatives politiques et sociales du Second Empire, la défense des critiques libéraux de la peinture réaliste a assailli les prérogatives esthétiques de l'État comme contreparties à ses contradictions sociales. Le débat sur la représentation de la vie rurale par Millet s'inscrivait donc dans une lutte beaucoup plus vaste pour s'approprier le paysan dans un vocabulaire symbolique aux implications idéologiques et politiques plus larges.
Avec la consolidation de la Troisième République dans les années 1880 et l'ascension de l'opposition républicaine de l'Empire aux positions de pouvoir institutionnel, la réputation de Millet se transforme à nouveau. Les biographies posthumes et l'exposition rétrospective de 1887 à l'École des Beaux-Arts ont repositionné l'imagerie paysanne de Millet à une place centrale dans une version nouvellement définie de l'art national français. Nettoyé des rappels d'associations politiques radicales, le réalisme de Millet a été remodelé discursivement pour incarner la francité essentielle du patrimoine artistique de la nation.