L'officier de l'armée française Alfred Dreyfus (1859-1935) a été injustement condamné pour trahison. L'effort, finalement réussi, pour effacer son nom a divisé la société française et a eu des répercussions politiques importantes.
Alfred Dreyfus est né à Mulhouse le 9 octobre 1859 dans une famille juive de fabrication de textiles. Après la guerre franco-prussienne, sa famille a quitté l'Alsace pour rester citoyenne française. Choisissant une carrière militaire, Dreyfus entre à l'École Polytechnique en 1878. Après des études complémentaires, au cours desquelles il atteint le grade de capitaine en 1889, il est affecté comme stagiaire à l'état-major. Dreyfus était un jeune officier compétent et travailleur, mais pas brillant ni populaire. Son calvaire était de prouver qu'il était un homme d'un grand courage mais d'une vision limitée: toute sa vie était consacrée à l'armée, et il n'a jamais perdu la confiance qu'elle reconnaîtrait et remédierait au tort qui lui avait été fait.
Arrestation et condamnation
L'affaire Dreyfus débuta en septembre 1894, lorsque les services de renseignement de l'armée française trouvèrent parmi certains papiers prélevés au bureau de l'attaché militaire allemand à Paris, une liste (bordereau) de documents secrets remis aux Allemands par un membre de l'armée française. Une enquête précipitée et inadéquate a convaincu le chef du renseignement antisémite, le colonel Sandherr, que Dreyfus était le traître. Hormis une certaine ressemblance entre son écriture et celle du bordereau, aucune preuve très convaincante contre Dreyfus n'a pu être découverte. Il a cependant été arrêté le 15 octobre.
La cour martiale de Dreyfus s'est tenue à huis clos du 19 au 21 décembre. Un tribunal à l'unanimité l'a déclaré coupable et lui a infligé la peine la plus sévère: emprisonnement perpétuel, perte de grade et dégradation. Il a été envoyé sur la tristement célèbre île du diable, où il devait passer près de 5 ans dans les conditions les plus inhumaines. Protestant toujours son innocence, Dreyfus ignorait qu'il avait été condamné à l'aide d'un dossier secret préparé par les services de renseignement de l'armée. La communication du dossier aux juges à l'insu de la défense a enfreint la procédure régulière et a été la première de nombreuses actions qui discréditeraient l'armée et ruineraient la carrière des officiers impliqués.
Convaincue de son innocence, la famille Dreyfus, dirigée par son frère Mathieu, a cherché de nouvelles preuves qui persuaderaient l'armée de rouvrir son enquête. Mis à part quelques individus tels que le brillant jeune écrivain Bernard Lazare et le respecté sénateur à vie alsacien Scheurer-Kestner, ils ont trouvé peu de partisans, et leurs efforts ont incité la presse antisémite à soulever l'épouvantail d'un «syndicat juif» essayant de corrompre l'armée.
La fortune vint au secours de Dreyfus pour la première fois en juillet 1895, lorsque le nouveau chef du renseignement, le lieutenant-colonel Marie Georges Picquart, fut convaincu de l'innocence de Dreyfus et découvrit qu'un major Walsin-Esterhazy était le véritable auteur du bordereau. Bien que Picquart n'ait pas réussi à convaincre ses supérieurs de réexaminer le verdict, il restait déterminé à aider à libérer Dreyfus.
Toujours incapables de persuader le gouvernement d'agir, les partisans de Dreyfus - les Dreyfusards - ont maintenant porté leur cause au public, accusant Esterhazy du crime pour lequel Dreyfus était puni. La presse antisémite a contre-attaqué et l'affaire Dreyfus a commencé à se transformer en affaire Dreyfus, alors que des passions publiques se sont élevées contre les quelques-uns qui ont osé contester le verdict de la cour martiale. Soutenu par des amis au sein du commandement, Esterhazy a demandé une cour martiale pour prouver son innocence; il reçut un acquittement triomphant en janvier 1898. La preuve contre Esterhazy n'était guère meilleure que celle qui avait condamné Dreyfus, mais son acquittement anéantit les espoirs des Dreyfusards, qui s'attendaient à ce que sa condamnation prouve l'innocence de Dreyfus.
Nouveau procès et exonération
Le romancier controversé Émile Zola a cependant trouvé un moyen de rouvrir l'affaire: il a chargé dans une lettre ouverte au président de la République intitulée J'accuse que le tribunal militaire avait acquitté Esterhazy alors qu'ils savaient qu'il était coupable. Zola espérait porter les faits de l'affaire Dreyfus devant un tribunal civil, où il serait plus difficile pour l'armée de cacher ce qui s'était passé; il n'a réussi que partiellement, mais l'inquiétude croissante du public et la violence dans les rues ont contraint les autorités à prendre de nouvelles mesures.
Le ministre de la guerre, Godefroy Cavaignac, visant à calmer les critiques, a révélé publiquement une grande partie des preuves contre Dreyfus. Mais les Dreyfusards, dirigés par le leader socialiste Jean Jaurès, ont accusé que la falsification était évidente. L'enquête plus poussée de Cavaignac a conduit à la confession et au suicide (31 août 1898) d'un officier du renseignement, le lieutenant-colonel Joseph Henry, qui avait fabriqué des preuves pour renforcer le dossier contre Dreyfus. Ce fut le tournant de l'affaire. Le gouvernement porta l'affaire devant la plus haute cour d'appel, qui déclara (3 juin 1899) Dreyfus droit à un nouveau procès.
Dreyfus est ramené en France pour faire face à une nouvelle cour martiale à Rennes en septembre 1899. Elle rend, par 5 voix contre 2, l'incroyable verdict de culpabilité avec circonstances atténuantes et le condamne à 10 ans de prison. Les anti-dreyfusards avaient fait de l'honneur de l'armée une telle question qu'aucun tribunal militaire ne pourrait jamais le déclarer innocent. Personne ne croyait plus à l'honneur de l'armée que Dreyfus, et ce n'est que difficilement que l'on le persuadait d'accepter la grâce offerte par le président Émile Loubet.
Dreyfus a continué à demander une exonération, et son dossier a finalement été effacé par les tribunaux civils en juillet 1906. Il a été remis au service, promu et décoré, mais il a rapidement pris sa retraite. De retour au service actif pendant la Première Guerre mondiale, il passa ensuite sa retraite dans l'obscurité totale, et sa mort le 11 juillet 1935 passa presque inaperçue.
Conséquences politiques
Dreyfus comprenait peu la bataille qui faisait rage en son nom. La question de son innocence est devenue une question secondaire à côté de la question publique des droits de l'homme individuels par rapport aux exigences de la politique de l'État. Les questions politiques ont également joué un rôle dans l'affaire: pour de nombreux conservateurs, l'armée et l'Église ont semblé les derniers remparts de la stabilité sociale; tous deux seraient minés par la victoire des Dreyfusards. À gauche, beaucoup ont accueilli favorablement l'opportunité de frapper les forces monarchistes et cléricales, qu'ils considéraient comme des ennemis de la République. Dernier point, mais non le moindre, la question de l’antisémitisme. L'affaire a vu la première vague d'antisémitisme politique moderne, qui s'est avérée un signe avant-coureur de la terreur nazie.
La conséquence politique immédiate de l'Affaire fut de porter les radicaux au pouvoir; ils firent de l'Église le bouc émissaire des péchés des anti-dreyfusards, prenant un certain nombre de mesures anticléricales aboutissant à la séparation de l'Église et de l'État en 1905. Les passions exposées par l'affaire furent submergées dans la Première Guerre mondiale mais réapparurent dans la défaite de 1940 et sous le régime de Vichy.
lectures complémentaires
Il existe des centaines de livres traitant de l'affaire Dreyfus. Une introduction bien équilibrée est Douglas Johnson, La France et l'affaire Dreyfus (1966). L'étude détaillée de Guy Chapman, L'affaire Dreyfus: une réévaluation (1955), bouleverse une grande partie de la version standard de Dreyfusard mais sous-estime l'importance de l'antisémitisme. Le rôle de la psychologie des foules est exploré par Nicholas Halasz, Capitaine Dreyfus: L'histoire d'une hystérie de masse (1955). Pour quelque chose de l'homme, voir les mémoires de prison de Dreyfus, Cinq ans de ma vie, 1894-1899 (traduit de 1901).
Sources supplémentaires
Lewis, David L., Prisonniers d'honneur: l'affaire Dreyfus, New York: H. Holt, 1994. □