Febvre, Lucien (1878–1956)

Historien français.

L'historien Lucien Febvre a laissé son empreinte intellectuelle à la fois sur l'historiographie et sur le monde intellectuel français de son temps. Issu d'une famille bourguignonne à Nancy, il est toujours resté fortement attaché à ses origines régionales, même s'il a passé l'essentiel de sa vie à Paris. Il fut élève à l'École Normale Supérieure de 1898 à 1902 et faisait partie des générations étudiantes fortement marquées par l'affaire Dreyfus. Il sympathise également avec le mouvement ouvrier et, de 1907 à 1909, il écrit pour un journal socialiste à Besançon. Plus tard, il est proche du Parti socialiste de Léon Blum (1872–1950), mais il entretient également des contacts avec le Parti radical et parmi les communistes. Son ami le plus proche, par exemple, le psychologue Henri Wallon (1879–1962), était membre du Parti communiste français. Leur relation n'a rompu que pendant la guerre froide.

Febvre est mobilisé dans l'armée le 3 août 1914 et sert au front jusqu'en février 1919, à l'exception de plusieurs mois d'hospitalisation et de convalescence après avoir été grièvement blessé. À la fin de la guerre, il était capitaine commandant un régiment de mitrailleuses en Rhénanie. Cependant, contrairement à son collègue et ami Marc Bloch (1886–1944), il ne ressent aucune nostalgie pour ces années de «boucherie», comme il se met à les appeler: il prône ainsi toujours des politiques visant à éviter tout retour à la guerre. Il n'a abandonné cette position pacifiste que pendant la guerre civile espagnole, quand il a plaidé pour aider les républicains, et plus tard au moment du pacte de Munich, quand il a critiqué la politique opportuniste du gouvernement d'Édouard Daladier (1884–1970).

En 1911, Febvre a soutenu sa thèse sur la politique du roi espagnol Philippe II (r. 1556–1598) en Franche-Comté. Il a d'abord été nommé professeur d'histoire bourguignonne à Dijon; en 1919, il fut l'un des premiers professeurs à être nommé à la nouvelle université de Strasbourg. Il y rencontre le médiéviste Marc Bloch, huit ans son cadet, avec qui il partage le projet de renouveler l'historiographie basée sur une conception critique fortement influencée par la sociologie d'É mile Durkheim (1858-1917) et la géographie de Paul Vidal de la Blache (1845–1918). Ensemble, ils ont fondé une nouvelle revue interdisciplinaire qui a révolutionné les sciences humaines, Annales d'histoire économique et sociale, dont l'approche combinait l'histoire socio-économique avec un nouveau type d'histoire culturelle qui allait être connue sous le nom d '«histoire des mentalités». Mais Febvre, qui partageait son temps et ses énergies entre les Annales et la Revue de synthèse historique, que Henri Berr (1863–1954) dirigeait depuis 1900, avait tendance à se disperser. Ainsi, en 1932, il a pris la direction d'un autre projet majeur, le Encyclopédie française, dont une dizaine de volumes paraissent en 1939. Le but de ce projet, dans lequel Febvre démontre un talent singulier pour «faire des connexions», comparable à celui de Denis Diderot (1713–1784), est de présenter l'état le plus avancé des connaissances humaines dans toutes les disciplines scientifiques.

Parallèlement à ces tâches, dans lesquelles il bénéficie de l'aide de collaborateurs efficaces tels que l'écrivain Pierre Abraham (né Pierre Bloch, 1892–1974) et l'historienne d'origine autrichienne Lucie Varga (1904–1941), Febvre enseigne au Collège de France, à qu'il avait été élu en 1933, et écrivit un grand nombre d'articles et de critiques de livres qui lui permirent de participer directement aux débats de son temps. Ses propres œuvres, en revanche, ont mis du temps à se concrétiser: après Un destin: Martin Luther (1928) et Le Rhin (1931; Le Rhin), ses livres ultérieurs (sur François Rabelais, Marguerite de Navarre et Bonaventure Des Périers) ont pris beaucoup plus de temps que prévu et n'ont été achevés que pendant l'occupation, lorsque l'auteur a connu de longues périodes de travail solitaire. C'est à cette même période que les relations entre Febvre et Marc Bloch se sont gâtées sur la question de savoir si la publication du Annales devrait se poursuivre sous le régime imposé par les Allemands. Alors que Bloch, après quelques hésitations, a plaidé pour la suspension de la publication jusqu'à la fin de la guerre, Febvre était prêt à l'adapter, au moins sur le plan de la forme, aux conditions nouvelles pour préserver ce forum de la science historique française; il a par conséquent demandé à Bloch de retirer son nom ("juif") de leur entreprise commune. Bloch a finalement accepté cette stratégie, mais seulement après d'âpres débats; à partir de mai 1942, il signe ses contributions, qui restent nombreuses, sous le pseudonyme de «M. Fougéres».

Après la libération, Febvre était le seul rédacteur en chef du Annales et a dirigé de nombreux autres projets: un Encyclopédie française, la sixième section (sciences sociales et économiques) des É colé tudes, créée en 1948, et plusieurs autres revues et séries. Il fut également membre de la Commission Langevin-Walon pour la réforme de l'éducation de 1945 à 1948 et fut l'un des délégués français à la fondation de l'UNESCO. Bref, jusqu'à sa mort, il fut une figure centrale du monde académique français et le père fondateur de la «nouvelle» historiographie qui, grâce notamment à Fernand Braudel (1902-1985), devint rapidement un grand succès international.