Le 21 avril 2002, un tremblement de terre politique a secoué la France. Au premier tour de l'élection présidentielle, le candidat du Front national, Jean-Marie Le Pen, est arrivé deuxième, derrière le président en exercice, Jacques Chirac, et devant le favori, le candidat du Parti socialiste, le Premier ministre Lionel Jospin. En réponse à ce résultat décevant, Jospin a immédiatement annoncé sa retraite de la vie politique. Le résultat du second tour (second tour), à la suite de manifestations de rue massives contre le Front national, a été une victoire écrasante pour Chirac, qui a obtenu 82.2% des suffrages exprimés contre 17.8% pour Le Pen. Mais cela signifiait quand même que dans un pays très attaché à la publicité comme modèle de démocratie, l'extrême droite pouvait recueillir près d'un cinquième des voix françaises. Ce n'était pas non plus une nouveauté: au cours des vingt dernières années, le Front national était devenu un acteur important des forces politiques en France, et la France par extension avait acquis l'une des plus grandes circonscriptions d'extrême droite d'un pays européen. Le chef du Front national était certainement une personne talentueuse, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour traduire ce talent en bulletins de vote. Il suffit de rappeler que le Front, que Le Pen avait présidé depuis sa fondation en 1972, n'a pas réussi pendant plus de dix ans à éliminer plus de 1% des suffrages exprimés aux élections; en effet, aux élections présidentielles de 1981, Le Pen n'a même pas pu réunir les cinq cents signatures requises par la loi pour se présenter.
Ce n'est qu'en 1984 que le Front national a commencé son ascension rapide. Un signe avant-coureur des choses à venir était la performance de Le Pen aux élections municipales de 1982, quand il a recueilli 11.3% des voix dans le 20e arrondissement (ou district) ouvrier de Paris. En 1984, au niveau national, le parti a obtenu 10.95% des suffrages exprimés aux élections parlementaires européennes. Lors des élections présidentielles, la part des voix du Front a atteint 14.39% en 1988 et 15% en 1995, tandis qu'aux élections législatives de 1997, elle était de 15.24%. Ces pourcentages représentent des millions de Français - plus de 4.5 millions en 1995. Tous les partis politiques français ont un fort turn-over de supporters, mais ce trait est encore plus marqué dans le cas du Front national, au vu duquel on ne peut que conclure que une part très importante des Français a voté au moins une fois depuis les années 1980 pour l'extrême droite. Le Front est devenu une caractéristique permanente du paysage politique français.
Comment expliquer cela? Une considération est la propension du Front national à attirer des votes de protestation. Pour une partie de l'électorat, un vote pour le Front n'a été qu'une expression d'insatisfaction, exprimée dans l'espoir confiant que le parti n'arriverait pas au pouvoir. Il est à noter, cependant, que le Parti communiste français a longtemps précédé le Front en tant que bénéficiaire des votes de protestation. La montée du parti de Le Pen était en proportion inverse du déclin des communistes: au moins dans une certaine mesure, les deux partis étaient comme des vases communicants. Aux élections européennes de 1984, le Front national était juste derrière les communistes, et aux élections législatives de 1986, il les dépassa. Bien sûr, cela ne veut pas dire que les électeurs communistes sont allés en masse au Front; beaucoup, en effet, ont plutôt fait défection vers les socialistes ou vers de petits partis d'extrême gauche. Pourtant, un moment vint finalement où beaucoup plus de travailleurs votaient pour le Front national que pour le Parti communiste. Le modèle soviétique ne tenait plus aucune promesse, et de nombreux électeurs de la classe ouvrière ont été séduits par la dénonciation par Le Pen de «l'immigration, l'insécurité, le chômage» et par son clairvoyance de la prétendue solution: «Les Français d'abord». L'échec du Parti socialiste à remplir sa promesse de "changer la vie" après sa victoire triomphante en 1981 n'a fait que renforcer l'attrait du Front, d'autant plus que les socialistes étaient vulnérables à l'accusation de négliger les questions de sécurité publique et d'immigration.
Il ne fait aucun doute, en tout cas, que la croissance du Front national résulte de l'ajout d'un grand nombre d'électeurs solidement ouvriers à la circonscription traditionnelle du parti de catholiques conservateurs et de droite motivés par la nostalgie de Vichy France ou de l'Algérie française. . La composition du Front rend compte du fait que, vingt ans après sa première apparition sur la scène politique française, il reste un facteur à prendre en compte et a à plusieurs reprises bouleversé les institutions politiques françaises. Le Front national a survécu à l'impact électoral à plus ou moins long terme de nombreuses questions controversées, parmi lesquelles les excès verbaux de Le Pen et le racisme dénudé qu'ils trahissent, le soutien du parti à Saddam Hussein dans la première guerre du Golfe, la profanation du cimetière juif. à Carpentras (largement attribuée au Front), et surtout la scission de 1998, lorsqu'une partie des partisans du parti est partie sous la direction de Bruno Mégret et a formé le Mouvement national et républicain (MNR). Seul le temps nous dira si le Front national pourra survivre au départ de son chef vieillissant, qui avait soixante-seize ans en 2004.