Philosophe hégélien.
Alexandre Kojève est surtout connu pour une série de conférences qu'il a données La phénoménologie de l'esprit, par GWF Hegel (1770–1831), de 1933 à 1939 à l'École Pratique des Hautes Études. Les auditeurs de Kojève lisent comme un who's who des futurs intellectuels français. Raymond Aron, Georges Bataille, André Breton, Jacques Lacan, Maurice Merleau-Ponty, Raymond Queneau, Eric Weil et d'autres ont assisté à plusieurs reprises aux séminaires de Kojève et plusieurs d'entre eux ont témoigné de sa perspicacité, de sa rigueur et de son érudition. Les conférences de Kojève ont été publiées en 1947; et ceci, couplé à la publication de la traduction de Jean Hyppolite en 1939 du Phénoménologie de l'esprit, introduit l'hégélianisme dans la France d'après-guerre et y prépare le terrain pour son règne souverain ultérieur.
Kojève lit l'histoire humaine à travers le prisme de la dialectique maître-esclave de Hegel, et il voit le désir de reconnaissance comme la caractéristique distinctive de l'humanité. Les êtres humains exigent d'être reconnus et respectés en tant qu'individus libres et égaux, et ce n'est que lorsque les individus sont mutuellement reconnus qu'ils peuvent mener une vie pleinement satisfaisante. Au début de leur développement historique, cependant, les êtres humains, tout en exigeant que les autres reconnaissent leur particularité individuelle, ont refusé d'offrir cette reconnaissance en retour, ce qui a conduit à une lutte pour la reconnaissance ou une bataille pour le pur prestige. À un moment donné de cette lutte, l'un des désirs d'auto-préservation du guerrier a vaincu son désir de risquer sa vie pour être reconnu, et il est ensuite devenu l'esclave du maître victorieux, reconnaissant sa dignité humaine et travaillant pour lui. Mais si le maître a peut-être gagné à court terme, à long terme, la reconnaissance du maître par l'esclave n'est pas satisfaisante précisément parce que le maître ne reconnaît pas la dignité de l'esclave. L'esclave, en revanche, a pu progresser historiquement à travers l'activité même qui le distinguait en tant qu'esclave, à savoir le travail ou le travail: les produits du travail de l'esclave devenaient une confirmation objective de sa propre réalité et de sa propre valeur. Kojève retrace le développement de la conscience esclavagiste à travers les étapes historiques du christianisme et du capitalisme, par exemple: dans le premier, Dieu devient un maître nouveau et absolu, mais qui reconnaît désormais l'individualité et la valeur uniques de toutes les personnes; dans ce dernier, la propriété privée ou le capital devient le nouveau maître, mais celui qui aide et encourage la transformation continue de l'esclave travailleur et la conquête technologique de la nature. Selon Kojève, la fin de l'histoire (comprise comme la transformation et le développement dialectiques de l'humanité) s'est produite pendant la Révolution française et le règne de Napoléon. Les ouvriers-guerriers de l'armée de Napoléon étaient prêts à risquer leur vie pour être reconnus, mais uniquement pour créer les conditions égalitaires dans lesquelles tous les individus se reconnaîtront et seront reconnus comme des citoyens dignes et autonomes. La seule tâche qui reste à accomplir historiquement est la propagation mondiale des idées fondamentales de la Révolution dont la réalisation aboutira à ce que Kojève appelle un État universel et homogène. Cet état final ou final sera universel car il englobera toute l'humanité; et il sera homogène parce que tous les citoyens jouiront de l'égalité des droits et des devoirs grâce à la promulgation d'un système de justice véritablement équitable.
Kojève a exercé une large influence sur de nombreux segments de la vie intellectuelle française. Par exemple, André Breton (1896–1966) et les surréalistes ont découvert dans la dialectique de Hegel une démonstration de l'harmonie intérieure et de l'unité de concepts ou de forces apparemment opposés et inconciliables. Le psychanalyste Jacques Lacan (1901–1981) a emprunté un certain nombre d'idées kojéviennes, dont le désir d'un autre désir, la lutte pour la reconnaissance et la dialectique maître-esclave. Lacan a ensuite incorporé ces idées dans son interprétation de Sigmund Freud (1856–1939) pour expliquer des phénomènes tels que l'origine de la conscience de soi, la constitution de la subjectivité humaine et la socialisation des enfants. En littérature, bon nombre des romans de Raymond Queneau (1903–1976) peuvent être compris comme dépeignant la vie à la fin de l'histoire. Non sans ironie et humour, les personnages de Queneau sont généralement pleinement réconciliés ou satisfaits d'eux-mêmes et de leur environnement. Avec peu de choses à faire ou à dire dans le monde moderne, ils jouissent d'une existence essentiellement pacifique et détendue dans laquelle les luttes titanesques et historiques entre le bien et le mal ont disparu pour toujours. Enfin, Kojève a jeté les bases de l'émergence du marxisme existentiel chez des penseurs comme Maurice Merleau-Ponty (1908–1961) et Jean-Paul Sartre (1905–1980). Abandonnant la compréhension dialectique de Hegel de la nature, Kojève a soutenu que les êtres humains seuls sont définis par leur liberté radicale de nier ou de changer ou de créer eux-mêmes et le monde qui les entoure. Cette ontologie existentielle a ensuite été greffée sur le matérialisme historique de Marx, aboutissant à une position philosophique qui met l'accent sur la création libre de l'essence humaine, les structures intrinsèquement aliénantes de la société capitaliste et la lutte pour un avenir sans exploitation. En somme, Kojève est souvent l'influence cachée qui se cache derrière une grande partie de la vie intellectuelle française d'après-guerre.