Touvier, Paul (1915–1996)

Chef de la milice à Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale.

En 1994, après quarante-cinq ans dans la clandestinité avec l'aide d'institutions catholiques, Paul Touvier est devenu le premier citoyen français condamné pour crimes contre l'humanité.

Né dans une fervente famille catholique en Savoie en 1915, Touvier fréquente les écoles religieuses de Chambéry. Il quitte l'école à l'âge de seize ans et commence rapidement à travailler pour Paris-Lyon-Méditerranée, une société ferroviaire. Quatre ans après avoir terminé son service militaire (1935-1936), il est rappelé au service militaire à Épinal, puis démobilisé en septembre 1940 à Montpellier après l'effondrement de son unité. Une fois l'armistice signé, Touvier est retourné à Chambéry, où il a repris ses fonctions à la nouvelle Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) .En 1940, il a rejoint la société des anciens combattants récemment créée, la Légion la présidence du maréchal Philippe Pétain, alors chef de l'Etat français.

Lorsque les partisans les plus dévoués de la Révolution nationale de Pétain créèrent le Service d'Ordre Légionnaire pro-nazi le 12 décembre 1941, Touvier rejoignit sans surprise la nouvelle organisation. De même, lorsqu'une milice française, police idéologique en charge de la chasse aux résistants et aux juifs, a été créée, Touvier a été accepté dans le premier stage de formation à l'école des chefs de milice d'Uriage.

Nommé à la tête des services secrets de la milice française en Savoie, Touvier a créé des dossiers sur tous les opposants au régime de Vichy qu'il a pu découvrir. Son efficacité a conduit à une promotion rapide à Lyon, où il est devenu chef régional de la milice, avec dix départements sous son autorité. Il a infiltré la Résistance, organisé des raids et interrogé des prisonniers sous la torture. Les nouvelles responsabilités de Touvier lui ont fourni l'opportunité de piller systématiquement les biens des juifs, tels que les appartements et les voitures; il s'est également livré à l'extorsion contre les Juifs et les commerçants noirs et a organisé des raids punitifs, un peu comme un chef de gang. Touvier était responsable du meurtre en janvier 1944 de Victor Basch, président de la Ligue des droits de l'homme, et de sa femme, tous deux âgés de quatre-vingts ans; ils étaient accusés d'être juifs et francs-maçons. En juin, sept Juifs ont été tués à Rillieux-la-Pape près de Lyon; c'était la forme personnelle de représailles de Touvier pour l'assassinat par des résistants de Philippe Henriot, ministre de la propagande sous le régime de Vichy.

Après la Libération, Touvier est resté un temps au quartier général de la milice, espérant que ses contacts de dernière minute avec la Résistance lui garantiraient l'impunité. Cependant, en septembre 1944, avec l'aide de Stéphane Vautherin, aumônier de la milice française, il entre dans la clandestinité.

Le 10 septembre 1946, Touvier fut condamné à mort par contumace par un tribunal français de Lyon; le 4 mars 1947, la même condamnation fut prononcée par le tribunal de Chambéry. Grâce à vingt ans de protection par les institutions catholiques romaines, Touvier a pu échapper à la justice et est resté caché jusqu'en 1967, date à laquelle le délai de prescription pour ses crimes de guerre a expiré. En tant que criminel de guerre reconnu coupable, Touvier a confisqué ses biens personnels. Pour annuler cette décision, qui a porté atteinte à sa famille, il a fait appel à la grâce présidentielle. Charles Duquaire, dignitaire d'église, ancien secrétaire du diocèse de Lyon et ami de la famille Touvier, intercède en son nom et le 23 novembre 1971, le président Georges Pompidou signe une grâce officielle.

C'est ainsi qu'a commencé l '«affaire Touvier» qui a provoqué une indignation généralisée dans les médias. En novembre 1973, une association de résistants porta plainte contre Touvier, l'accusant d'avoir commis des crimes contre l'humanité, pour lesquels depuis 1964 il n'existait pas de prescription selon la loi française. De nouveau, Touvier se cachait. En 1981, un mandat d'arrêt a été émis, mais huit ans se sont écoulés avant que Touvier ne soit découvert, vivant sous un faux nom dans un monastère de Nice, sur un domaine appartenant à des partisans de Mgr Marcel Lefèvre, le chef des fondamentalistes catholiques.

Les activités compromettantes des ecclésiastiques dans l'évasion de Touvier, qui lui avaient permis d'échapper à la justice depuis 1945, ont été étudiées par huit historiens dans un rapport commandé par le cardinal Albert Decourtray, qui leur a ouvert les archives de l'archidiocèse de Lyon. Ces circonstances ont conduit à un tollé public encore plus fort lorsque, le 13 août 1992, l'acte d'accusation contre Touvier a été rejeté en appel. Pierre Truche, procureur de la République de Paris, a fait appel de cette décision dans lecour d'assises; lorsque l'ordonnance de renvoi fut annulée, elle ouvrit la voie au procès de Touvier. Touvier était défendu par Jacques Trémolet de Villiers, un avocat bien connu pour ses relations étroites avec l'extrême droite catholique. Touvier a été jugé coupable et condamné à la prison à vie sans libération conditionnelle. La culpabilité de Touvier était un verdict qui s'étendait symboliquement aux collaborationnistes idéologiques français.

Alors que le procès du nazi allemand Klaus Barbie a aidé à définir qui pouvait être inclus comme victime de crimes contre l'humanité, à savoir les juifs et les membres de la Résistance, le procès de Touvier a permis à la loi de décider qui pourrait être inculpé pour de tels crimes. Lors des préparatifs du procès, le cour de cassation a décidé le 27 novembre 1992 qu'un citoyen français ne pouvait être poursuivi que s'il avait agi au nom des autorités d'occupation allemandes; s'il avait agi seul ou sous l'autorité du régime de Vichy, les poursuites pour crimes contre l'humanité n'étaient pas exécutoires. Cette décision a affecté la manière dont s'est déroulé le procès ultérieur contre Maurice Papon. Paul Touvier est décédé d'un cancer de la prostate à la prison de Fresnes le 17 juillet 1996.